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Interview avec notre auteur, Jean-Fred Warlin
De la salle d’opération aux salles d’archives : ancien chirurgien viscéral, Jean-Fred Warlin consacre sa « seconde vie » à l’Histoire du XVIIIᵉ siècle. Spécialiste de Louis XV et de figures oubliées de son temps, il revient ici sur son parcours singulier et son dernier ouvrage consacré au prince de Carignan.
1) Pouvez-vous vous présenter ?
Oui, je suis un chirurgien viscéral, qui ai travaillé jusqu’à la retraite en clinique et en hôpital (Argenteuil).
Pour éviter le ressassement continuel d’un métier que j’ai infiniment aimé (et auquel je persiste à m’intéresser par des lectures et des écritures), j’ai transformé ce qui était mon « hobby », l’Histoire, en « deuxième vie ».
J’ai joué le jeu à fond, je me suis inscrit en Sorbonne, où j’ai passé successivement les épreuves de licence, de mastère, et de doctorat, sous la direction du Pr Lucien Bély. Mon domaine de prédilection est le XVIIIe siècle, et plus spécifiquement la politique étrangère de Louis XV. Mes deux précédents ouvrages étaient consacrés, le premier à Jean-Pierre Tercier, l’un des chefs d’orchestre du « Secret du Roi », qui, après avoir eu un rôle éminent dans la réélection de Stanislas Leszczynski (et l’avoir payé d’une détention inhumaine dans les geôles russes) a fait tout son possible, malgré la diligente hostilité des Choiseul, pour assurer l’indépendance et l’intégrité de la Pologne ; le deuxième à Joachim de La Chétardie, ambassadeur du Roi à Berlin, à Turin, mais surtout à Pétersbourg, où il participa au coup d’État qui mit Élisabeth sur le trône, eut peut-être des relations privilégiées avec elle, mais n’en fut pas moins expulsé de Russie comme un valet de ferme ayant volé des poules.
2) Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur ce personnage ?
Le prince de Carignan, plus élevé dans la hiérarchie nobiliaire que mes « héros » précédents, a en revanche eu une importance historique moindre. Son seul « fait d’armes » est d’avoir fui une cour dans laquelle il était choyé dans un cocon, premier prince du sang, en bonne place sur la liste des prétendants au trône, ayant une vie constituée de chasses, de jeux, de bals, de promenades et de galanteries, pour partir en France, seul, abandonnant femme, fille et prétentions au trône, pour arriver en France, où il connaissait peu de monde et dont il bredouillait à peine la langue (il semble avoir peu progressé à cet égard au cours des décennies suivantes).
3) Comment avez-vous découvert ce personnage ?
Les mémorialistes de la Régence et du début du règne de Louis XV (Buvat, Luynes, Marais, Barbier et surtout le duc de Saint-Simon) ont beaucoup glosé sur ce grand seigneur dépensier, intrigant (surtout par son épouse après qu’elle l’a rejoint), endetté jusqu’aux yeux, dépravé, et qui n’a trouvé grâce auprès d’aucun d’eux. Ces témoignages m’ont incité à chercher la trace qu’il a laissée dans les archives, notamment notariales, ce qui m’a renseigné sur ses biens, domaines, seigneuries, greffes, et surtout sur ses dettes, colossales. La liste de ses créanciers constituerait un livre plus épais que le mien. Cette enquête m’a aussi permis de comprendre son système, son imbrication dans la société de cour, ses soutiens, ses amis, mais aussi ses goûts et son mode de vie.
4) Pourquoi l’avez-vous choisi plutôt qu’un autre ?
Il a un point commun avec ses « devanciers », c’est de n’avoir encore intéressé aucun biographe ; mais cela se comprend mieux que pour les précédents, car en effet, il n’a pas laissé de souvenir mémorable et c’est peut-être une « erreur de casting » de ma part ; cependant, je le crois assez représentatif d’une certaine aristocratie de princes étrangers parasitant la cour de France et y obtenant des postes importants (lieutenant-général, intendant des menus-plaisirs, directeur de l’Académie royale de Musique), tout en se mêlant des intrigues de cour (disgrâce du duc de Bourbon en 1726 ou de Germain Chauvelin en 1737).
5) Avez-vous effectué un travail de recherche ?
Oui, très intense, pendant 5 ans, sans discontinuer. J’ai travaillé dans un grand nombre de bibliothèques (BNF, bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne, Sorbonne-Clignancourt, Sainte-Geneviève, Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, Bibliothèque de l’École des Chartes, Bibliothèque Mazarine, Bibliothèque de l’Institut catholique de Paris, Sciences Po, Théâtrothèque Gaston Baty, Bibliothèque Thiers, Bibliothèque musicale Le Grange Fleuret, etc.), et j’ai lu beaucoup d’ouvrages en ligne.
J’ai compulsé aussi un nombre considérable d’archives, de Turin, mais surtout de Paris (Archives Nationales, Archives des Affaires étrangères, Service Historique de la Défense, Archives de l’Arsenal, Archives de Pierrefitte, Archives de l’Opéra). Je ne prétends pas à l’exhaustivité, mais je pense avoir compulsé et lu la majorité des documents en français et en italien ayant trait à ce prince ou à sa famille proche.
6) Avez-vous eu accès à des archives inédites ?
Si vous entendez par là des archives familiales de la maison de Savoie-Carignan, la réponse est non, mais la difficulté d’accès à certaines sources (comme par exemple l’Armorial et Nobiliaire de l’ancien duché de Savoie ou les Archives Amelot) me laisse penser qu’elles n’ont pas dû être explorées fréquemment.
7) Quel a été pour vous le plus grand défi dans l’écriture de de votre ouvrage ?
Le mérite d’un ouvrage est à la fois d’instruire et de plaire, d’offrir de l’utilité et du divertissement. Je ne me flatte pas d’avoir concilié ces deux objectifs : du moins ai-je tenté d’intéresser le lecteur à un personnage qui, certes, n’a pas accompli de grands exploits sur les plans culturels, religieux, militaires, ni politiques, mais qui me paraît assez représentatif de sa caste et de son époque par son mode de vie, son comportement, ses divertissements et même ses relations familiales, ou extra-conjugales, assez caractéristiques d’un siècle de libertinage et de frivolité, où la sensibilité semble peu présente. Comme l’écrivait La Fontaine,
Et, si de t’agréer, je n’emporte le prix,
J’aurais du moins l’honneur de l’avoir entrepris[1].
[1] Épître dédicatoire du premier recueil des Fables, à Mgr le Dauphin, lors âgé de 7 ans (1668).
8) Quel message souhaitez-vous transmettre à travers votre livre ?
J’ai voulu montrer que, chez ces grands seigneurs blasés, le jeu et le libertinage sont les seuls remèdes à l’ennui et que, en dépit de ses imperfections morales et de son caractère d’écornifleur, le personnage avait des côtés attachants ; amateur d’art et de concerts, mécène, n’hésitant pas à faire venir des artistes d’Italie et à subventionner des compositeurs de la classe de Jean-Philippe Rameau. Finalement, ces éléments donnent du relief à l’homme et l’Italien rachète en grande partie le prince.
9) Y a-t-il une personnalité dont vous aimeriez raconter l’histoire ?
Mon choix n’est pas encore tout à fait arrêté mais, fidèle à ce qui devient une coutume, je souhaiterais étudier un personnage qui n’a pas encore trouvé son biographe. Je suis assez tenté par Guillaume IV d’Orange-Nassau, prince sans fortune et presque sans terres, fils posthume d’un père mort dans un naufrage l’année de sa naissance (1711) et qui réussit au cours d’une courte vie (40 ans) à épouser la fille du roi d’Angleterre George II, à troquer Leeuwarden contre La Haye et à rétablir à son profit le stathoudérat sur les sept provinces de Hollande, Zélande, Gueldre, Frise, Groningue, Overijssel et Utrecht, et malgré les déboires de la guerre de Succession d’Autriche, à transmettre à son fils Guillaume V (lui aussi, âgé de 3 ans à la mort de son père) une Compagnie des Indes Orientales et un État plus riches et plus puissants qu’ils ne les avait trouvés à son avènement.
Peut-être cependant ma méconnaissance de la langue néerlandaise me retiendra-t-elle d’accomplir ce projet.
Merci à Jean-Fred Warlin pour nous faire revivre le XVIIIᵉ siècle avec passion et rigueur ! Plongez dans les intrigues du prince de Carignan et découvrez son dernier ouvrage ici : https://www.editions-amalthee.com/librairie/prince-de-carignan/