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Interview avec notre auteur, Peniel Sylvain Pierre

1) Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Peniel Sylvain Pierre. Je suis né en Haïti à Port-au-Prince. J’ai 3 sœurs et un frère. Je suis donc l’aîné de la famille. J’ai grandi à Carrefour-Feuilles ; un quartier populaire paisible riverain de Port-au-Prince, maintenant devenu presque désert que j’ai quitté il y a 5 ans pour m’installer à Québec avec mon épouse, au Canada.

Dès mon jeune âge, j’ai reçu une éducation chrétienne et je n’ai fréquenté que des écoles religieuses. Mon père était un ancien enseignant à l’école primaire et partout où il passait un livre l’accompagnait. Je sautais toujours au milieu de ses livres qui trainaient partout à la maison par ma faute et m’aidaient dans mes premiers pas de lecture hormis les manuels scolaires. C’est de lui je tiens l’amour des livres, le goût de la lecture et de l’écriture. C’est en quelque sorte son héritage.

Après mes études secondaires, j’ai intégré la Faculté des Sciences Humaines de l’Université d’Etat D’Haïti où j’ai étudié le Travail Social. Grâce à cette formation, j’ai développé en moi voire poussé plus haut la notion d’engagement et d’entraide. Plus tard, j’ai obtenu le poste d’Officier de mobilisation sociale à la Croix-Rouge Américaine 5 ans après le séisme du 12 janvier 2010 qui a ravagé le pays.

2) Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire ?

Comme Je ne suis pas bavard il me suffisait de développer beaucoup plus mes sens d’observation et de curiosité. Je parle peu et j’observe. Je réfléchis beaucoup. Dans ma tête, il y a toujours quelque chose qui mijote. Une réponse à donner. Une situation à corriger. Une méditation qui n’en finit pas.

Mes réflexions étaient diverses et m’apprenaient surtout à canaliser mon énergie vers d’autres sources qui reflètent les anomalies sociales trop souvent négligées par les preneurs de décision en conditionnant le malheur de tout le monde. Dans l’écriture, je trouve le meilleur moyen d’élever la voix pour dénoncer les injustices et les tares sociales. Cela commençait par la poésie et finalement, c’est le roman qui accouchait le premier. C’est la faute de ma famille, de mes amis-camarades et de mes vécus quotidiens. Je souhaite vivement que les problèmes sociaux se résolvent un jour pour que mon pays et tous les peuples opprimés du monde retrouvent la prospérité.

C’est une construction cette histoire. En puisant dans les problèmes sociaux qui sont nombreux que ce soit dans mon quartier où je vivais ou ailleurs dans le reste du pays, je me sentais de plus en plus concerné depuis bien avant même mes études en Travail Social, mais surtout impuissant et aussi consterné. Et face à cet aveu d’impuissance et de consternation, il m’est venu à l’idée d’écrire une histoire juste pour exposer au grand jour certains faits troublants qui méritent d’attirer un plus large public sans faire de la politique active et corriger le mal systémique à travers mon œuvre. Je considère cela comme un devoir, une nécessité de créer quelque chose qui valait la peine d’essayer et de croire que tout n’est pas perdu ; tant que le soleil brille il ne fera jamais nuit. Tel est le message et aussi mon inspiration. Un cri d’espoir. Un regain de confiance et de courage.

3) Comment avez-vous imaginé cette ville chaotique ?

Je considère cette ville comme une sorte de miroir de la société actuelle où l’Etat affiche une telle nonchalance face aux quartiers les plus démunis. Une ville qui tombe en disgrâce pendant que l’Etat s’en passe des droits des résidents au même moment où le corps social se plonge dans une profonde léthargie.

Cela explique une situation qui représente le mépris et l’indifférence du système dominant envers une frange de la population. Une ville trahie par les autorités et qui récolte la hargne de ceux qui se prétendent être le garant de la justice et le défenseur des valeurs, des normes et des principes. Cet état de désordre planifié est la fièvre qui marginalise tous les quartiers populaires qui hantent les rêves soigneux de grandeur des élites dédaigneuses.

C’est donc la frontière qui invisible certains pays affublés de titres peu enchanteurs et au lieu de leur tendre une main salvatrice et humaine, on leur colle une note d’angoisse qui les empêchent de franchir les pas vers le bonheur. C’est aussi le refus de l’humanité sacrifiée au profit de desseins égoïstes. Un laboratoire de l’iniquité de la plus haute sphère et le cynisme déguisé en sauveur pour faire taire une réalité calculée.

Cette ville chaotique est donc pour moi le cimetière d’une civilisation qui accepte volontiers de propager l’opprobre et la détresse au milieu des siens. J’ai imaginé Grise-Ville comme le symbole d’un gouvernement qui tourne son peuple en dérision pour lui imposer comme modèle une vie indigne de gouvernance.

4) Le personnage de l’homme d’affaires manipulateur évoque une collusion entre pouvoir économique et politique. Pourquoi avoir choisi cet antagoniste ?

C’est en effet un constat amer qui m’amène à mettre en exergue cette réalité sur la base de fiction. La population aspire au bien-être. Pourtant, la plupart du temps la classe économique et la classe politique s’accordent à chasser tout espoir de bonheur au sein de la masse populaire.

La plupart des politiciens ne sont ni sincères ni crédibles. Ils n’ont ni conviction ni aucun état d’âme. En présence de l’argent et de leur intérêt ils n’affichent aucune conviction et oublient vite leur principe. Il est donc facile de les corrompre.

Trop souvent, ils s’acoquinent pour rendre l’enfer aux citoyens. Comme on dit : « celui qui dépense, c’est celui qui dirige. » D’ailleurs, tout ce qui intéresse la frange économique c’est le profit. Tout ce qui préoccupe le politicien c’est le pouvoir. Dans cet amalgame, le peuple est exclu sans avoir son mot à dire dans les décisions qui se prennent en coulisse et le pire en son nom. Le peuple est toujours le grand perdant de l’histoire. Cet antagoniste le révèle bien.

5) La communauté prend une place centrale. Comment avez-vous abordé la diversité des voix et des récits à l’intérieur de cette population ?

Je me suis appuyé sur mes expériences personnelles et professionnelles afin d’aborder la diversité des voix et des récits au sein de la population. Plusieurs des personnages se rapportent soit à une personne vivante ou ayant vécu dans le quartier où j’ai grandi à qui je prête la voix. D’autres parfois me rappellent une personne que j’ai croisé lors de mes expériences professionnelles qui affichaient un comportement hostile ou approbateur.

Quant aux enfants, cela évoque des traits de vie familiale dans le quartier où la camaraderie comptait énormément. Cela évoque des périodes de l’insouciance partagées entre gamin. Et malgré les difficultés, rien ne nous empêche de garder le sourire et la foi dans nos jeux d’enfants. En même temps, cela rappelle les époques où les acceptations et intégrations dans les groupes de pairs étaient comme un passage de rituel d’enfants. Les querelles et disputes étaient légions.

Les différents dialogues bien qu’ils n’aient rien à voir avec le réel, portent quand même l’empreinte d’une situation ou d’une personne ayant vécu ou une invention pure et simple. Même si, c’est une fiction, en réalité il reflète bien la situation de certains de mes compatriotes et tout aussi bien d’autres endroits dans le monde que je n’ai pas vécu mais qui existent. Je voudrais que cette histoire leur serve de témoignage et leur aide à envisager une lueur d’espoir un peu lointaine. C’est peut-être de cette manière que j’offre ma participation.

6) La reconstruction participative est au cœur de la seconde partie. Que représente ce modèle pour vous ? Est-ce un idéal, une utopie, ou une solution concrète ?

Dans les quartiers populaires, il y a une forme d’organisation sociale basée sur l’entraide qui se développe et qui constitue même le pilier de la vie quotidienne. Les résidents du quartier ne sont pas uniquement des voisins, mais ils se comportent comme une vraie famille. Un échange mutuel s’installe et la réciprocité est au cœur de toutes les relations humaines.

Ce modèle de vie se base sur le partage et la confiance. Un pain peut se partager entre 5 personnes. Les amis s’habillent entre eux sans éprouver le moindre souci. Les voisins partagent leur repas au quotidien. Je prends l’exemple de ma grand’mère. Nous étions 4 à la maison, elle, mes deux sœurs et moi ; mais quand elle cuisinait, elle le faisait pour au moins 15 personnes en partageant à tous ces voisins rapprochés.

Le propriétaire d’une boutique peut vendre à crédit à tout le monde et peut attendre aussi longtemps avant de se faire rembourser. Un propriétaire de voiture est également l’ambulancier du quartier, le chauffeur de limousine des nouveaux mariés ou accorde le covoiturage à tous ce qu’il connait et croise dans la rue. Quelqu’un qui construit sa maison, peut compter sur tous ses voisins pour l’aider et quand ce sera leur tour, il leur rendra la réciprocité. C’est cela, la vie communautaire chez nous.

Ce récit renvoie à un idéal de vie et loin d’être une utopie, c’est déjà un mode de vie. Globalement, ça renvoie à un monde où chacun peut compter sur son prochain. Ce serait honnêtement une solution concrète aux différents problèmes auxquels les populations locales et mondiales font face.

7) Quel a été le plus grand défi lors de l’écriture de ce livre ?

Je me souviens quand j’écrivais ce roman, j’avais également mon mémoire à écrire pour obtenir ma licence en Travail social. Un moment, j’ai dû prioriser l’un et négliger l’autre. Finalement, c’est le mémoire que je sacrifiais pour achever ce roman. Car je ne pouvais pas me concentrer sur plusieurs choses à la fois. Bref, cela m’épuise beaucoup !

Ce texte vient de nulle part et jusqu’à maintenant, je n’arrive pas à me souvenir ce qui m’a inspiré cette histoire. J’ai dû beaucoup faire travailler mes méninges pour trouver la bonne harmonisation du texte. Certaines fois j’ai dû sacrifier des sommeils pour enchainer les parties. Quand je ne pouvais pas me lever dans mes visions ou les scènes se déroulaient, j’ai dû mémoriser la partie avant de m’endormir. Le lendemain, je reporte tout ça sur le manuscrit. Plus tard, je laisserai tomber même si pleines idées me passaient par la tête.

Cependant, l’inspiration ne choisit pas l’endroit pour me prendre. Ça peut être n’importe où et même dans la rue. Plusieurs fois je marchais dans la rue et une partie du texte m’est venue. Je me suis appuyé sur le capot d’une voiture et je l’ai écrit dans mon cahier et je le reporte dans le manuscrit en arrivant chez moi. Ça pouvait également m’arriver dans les transports en commun ou en classe ou en stage. Dans ce cas-la, j’utilisais l’office de mon téléphone pour écrire la portion de texte et la rapporter une fois arrivée à la maison. En gros, mon plus grand défi était celui de rester concentré pendant longtemps pour puiser de l’inspiration pour achever le texte.

8) Quel message souhaitez-vous transmettre à travers votre livre ?

En ce moment, mon pays d’origine vit une situation de chaos généralisé. Des bandits armés assiègent la Capitale haïtienne, créent un climat d’insécurité, de panique et de peur. Accélèrent un exode massif interne ainsi qu’une crise humanitaire sans précèdent. Le gouvernement fait silence sur tout ce qui passe et préfère regarder dans d’autres directions, laissant la population aux abois.

Face à cette situation, le message de mon livre pourrait être appliqué. Malheureusement, c’est une œuvre fictive et non un énoncé politique ni un essai. Toutefois, le message que je transmets à travers mon texte est celui de l’espoir, de courage, de résilience, de solidarité et de fraternité. C’est d’aller de l’avant en dépit des circonstances.

Tout est éphémère même les problèmes. Tout ce qui commence, a certainement une fin et c’est pareil pour le chaos quelque soit celui qui en tirera profit, ça finira un jour. La délivrance est accessible seulement si on s’y met à travailler ensemble. Seul on ne va nulle part, mais ensemble on ira plus loin. Tout peut renaitre et il faut croire que tout n’est pas perdu même au plus dur des combats. La lumière se trouve au bout du tunnel, il faut juste persévérer pour vraiment y arriver. En gros, c’est le message que je souhaite transmettre dans mon livre.

9) Y-aura-t-il une suite ou avez-vous d’autres projets littéraires dans un autre registre à venir ?

Oui en effet j’envisage de rédiger la suite de ce récit. Le projet s’intitule : « L’Etoile du renouveau. » J’entame déjà la rédaction. Mais bien avant, je dois achever un roman d’amour qui me tient vraiment à cœur. Il portera le titre de : « Le deuxième amour. »

Présentement, je viens d’achever un recueil de nouvelles sur l’enfance que je compte également publier dont le titre est : « Le sillage de notre enfance. Suivi de l’orphelin de père. » Ce recueil regroupe 7 nouvelles divisées en deux parties. La première comprend 6 nouvelles qui relatent l’histoire d’au moins un enfant différent comme personnage principal dont tous ont un le même ami commun qui traverse les 6 nouvelles. La deuxième partie est un bloc d’histoire d’un seul enfant.

J’ai également en tête de publier un recueil de poésie composé uniquement de poèmes qui traitent des sujets de la vie en société. Je n’ai pas encore de titre pour ce projet.

Pour commander le livre : https://www.editions-amalthee.com/librairie/les-pas-du-destin/