Accueil > Actualités > Interview avec notre auteure, Domnica Radulescu
Sommaire
Interview avec notre auteure, Domnica Radulescu
Avec son nouveau roman, Domnica Radulescu nous entraîne dans une quête de mémoire et d’identité, entre exil, trauma et résilience. Portée par une langue sensible, cette œuvre puissante explore les blessures intimes et les racines hybrides, rappelant que se souvenir, c’est déjà se reconstruire.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis une écrivaine anglophone et francophone d’origine roumaine et de nationalité américaine, auteure de plusieurs ouvrages de fiction, ainsi que de pièces de théâtre et d’études critiques sur la littérature de l’exile, le théâtre des femmes. J’enseigne la littérature française et comparée à l’université de Washington et Lee en Virginie, aux États-Unis.
Votre roman aborde la reconstruction après un traumatisme profond. Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire ?
C’était d’abord un fait divers que j’ai trouvé dans la presse il y a quelques années pendant un voyage en France, l’histoire d’une femme qui a été violée brutalement dans les toilettes près de Notre Dame, histoire qui m’a beaucoup affectée. Cette histoire s’est superposée sur les nombreuses histoires de beaucoup de mes amies qui ont été victimes et ont survécu des violences sexuelles dans leur vies et cet amalgame d’histoires a créé une sorte de tourbillon douloureux de traumatisme de deuxième degré, une sorte d’empathie bouleversante.
Votre livre est intitulé « Tu viens du pays des vampires ». Pourquoi avez-vous choisi ce titre ?
D’abord je suis née et j’ai grandi et vécu en Roumanie jusqu’à mon départ dans les années 80. La Roumanie est connue dans l’occident, parfois de manière stéréotypée comme le pays de l’Europe de l’Est ou pullulent les vampires, légende qui s’est répandue surtout à cause du roman de Bram Stoker, Dracula. Quand même le nom Roumanie n’est jamais mentionné dans mon roman mais il y a beaucoup d’illusions à la culture, nature et langue roumaines et au fait que l’héroïne vient de ce pays. Le titre est donc légèrement ironique et aussi symbolique. Le vampire et le vampirisme symbolisent ici la violence sexuelle, le sang de l’héroïne et en même temps le sang qu’elle-même fait couler en vengeance justifiée contre son agresseur.
Le personnage principal traverse une amnésie dissociative. Pourquoi avoir choisi ce mécanisme pour explorer sa mémoire et son passé ?
Les traumatismes profonds causent souvent différentes formes de perte de mémoire et même d’amnésie comme réponse de protection de la victime. Moi-même, j’ai parfois subi ou éprouvé des trous de mémoire ou des pertes de mémoire après des périodes traumatisantes de ma vie, surtout à cause de l’expérience du déracinement causée par mon exile et à cause d’avoir survécu une dictature brutale. Dans le cas de ce roman, c’était mon héroïne qui m’a imposée ce récit à l’envers, où le lecteur apprend les faits de son histoire en même temps qu’elle. Du point de vue esthétique j’ai trouvé aussi que le récit à la deuxième personne est une stratégie très productive pour narrer une histoire violente et dévastatrice, surtout puisque la voix à la deuxième personne impose une distance du sujet de soi-même, une sorte d’aliénation de sa propre personne qui est aussi une stratégie de survie.
Comment avez-vous travaillé la temporalité entre passé et présent ? Était-ce un défi d’écriture ?
C’était un défi mais aussi une joie créatrice de jongler la temporalité entre présent et passé comme une sorte de puzzle artistique et psychologique où l’héroïne essaie de se retrouver et de se réinventer, en fouillant dans son passé et réapprendre à vivre dans le présent. Il y a aussi deux couches différentes du passé – le passé récent du traumatisme qu’elle vient de subir et son passé d’immigrée, de sa vie d’avant, de sa jeunesse au « pays des vampires, » de son émigration en France, puis aux Etats-Unis et puis son retour en France.
Est-ce que votre parcours personnel nourrit-il l’univers de vos romans ?
Oui, bien sûr. Je crois que tout récit authentique ressort premièrement des profondeurs de notre conscience et de notre sous-conscient et dans les cas de la fiction c’est cette couche profonde qui nourrit l’imaginaire fictionnel. Par exemple l’expérience du déracinement et de l’exile a toujours eu une profonde influence pas seulement sur le contenu de mes écrits mais aussi sur la forme de mes œuvres de fiction ou mémorialistes, dans le sens d’une discontinuité formelle du récit, des chronologies narratives non-linéaires et parfois mêmes interrompues. Dans ce roman aussi, même si l’histoire centrale n’est pas inspirée des faits que j’ai moi-même subis, le parcours existentiel de l’héroïne est similaire au mien, du point de vue de ses origines et de ses expériences d’émigrée.
On ressent une forte dimension féministe dans ce roman. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette approche ?
Oui, comme tous mes autres romans, c’est un roman féministe dans le sens qu’il donne voix aux expériences d’une femme forte, complexe, accomplie et profondément blessée qui survit un événement insurvivable grâce à son intelligence, à son humour, à sa créativité et à sa capacité d’aimer et de créer. Je ne fais pas de la propagande féministe dans mes écrits, la dimension féministe émerge de manière naturelle de la complexité des personnages féminins et du fait que je leur donne la voix de raconter leur propre historie et d’être les autrices de leur propre vie. Bien sûr le thème de la violence contre les femmes continue à avoir une importance fondamentale autant que cette violence fait toujours partie dévastatrice de notre société. Dénoncer cette violence par les moyens de l’art est bien sûr un geste féministe mais aussi humanitaire.
Votre héroïne se réinvente grâce à l’amour et à la créativité. Ce message d’espoir était-il essentiel pour vous ?
Absolument, l’humour et l’ironie ont toujours fait partie de ma créativité ainsi que de ma personne et de ma manière d’être dans le monde. Je crois que l’humour est une stratégie fondamentale de survie ainsi que de dénonciation du mal et d l’injustice. L’humour ressort aussi très souvent précisément de la souffrance et la soulage. Le grand écrivain américain Mark Twain a dit une fois que « il n’y a pas d’humour au paradis, l’humour vient de la souffrance. »
Quel message aimeriez-vous transmettre à travers votre ouvrage ?
Un double message : 1. Selon moi, l’art doit être une révélation ou une épiphanie et pousser à une transformation à la fois du lecteur et de l’écrivain. 2. La fiction et l’imagination créatrice sont parmi les formes les plus puissantes de dire des vérités dures et parfois même insupportables, surtout parce qu’à travers les processus presque magiques de l’imagination, la vérité devient plus accessible aux lecteurs et au public. Le grand écrivain Albert Camus, un de mes auteurs favoris, a dit une fois : « la fiction est le mensonge à travers lequel on dit la vérité. »
Avez-vous d’autres projets littéraires à venir ?
Oui, un livre d’essais intitulé « Langages de l’exile » et la traduction du français en anglais du livre magistral de la grande dame des lettres françaises, Michèle Sarde, A la recherche de Marie J.
Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Cookies strictement nécessaires
Cette option doit être activée à tout moment afin que nous puissions enregistrer vos préférences pour les réglages de cookie.
Si vous désactivez ce cookie, nous ne pourrons pas enregistrer vos préférences. Cela signifie que chaque fois que vous visitez ce site, vous devrez activer ou désactiver à nouveau les cookies.
Cookies tiers
Ce site utilise Google Analytics pour collecter des informations anonymes telles que le nombre de visiteurs du site et les pages les plus populaires.
Garder ce cookie activé nous aide à améliorer notre site Web.
Veuillez activer d’abord les cookies strictement nécessaires pour que nous puissions enregistrer vos préférences !